logo_100_chasse_peche.png

Édition août 2024

CHRONIQUE

100% ARMES

La puissance
d'arrêt relative

Par
Réjean Côté

La plupart des chasseurs évaluent la puissance ou l’efficacité de leur arme par l’énergie en livre-pied ou en joule. La puissance des projectiles de chasse qui permet d’abattre un gibier du premier coup a toujours été évaluée en fonction de leur énergie cinétique seule (E = ½mv2). Pourtant il doit y avoir un autre moyen d’évaluer « la force de frappe » parce qu’il y a beaucoup d’énergie qui se perd. Comme je l’avais mentionné dans une précédente chronique, si vous tirez sur un chevreuil à 100 mètres et que la balle passe de part en part et s’enfonce dans un arbre à 50 mètres derrière l’animal, une grosse partie de l’énergie se disperse dans l’arbre et non dans le gibier. Donc l’énergie n’est pas la seule quantité à considérer lorsque l’on parle d’arrêter un animal du premier coup.

Des balisticiens américains, Hatcher et Taylor, qui voulaient améliorer la performance des armes de service des forces de l’ordre ont tenté de comprendre quels étaient les facteurs autres que l’énergie cinétique lorsqu’il s’agissait de freiner ou stopper net un assaillant. Le même problème se pose pour les chasseurs lorsqu’il s’agit d’arrêter du premier coup un animal de 500 kg, un orignal par exemple. Hatcher a donc développé une formule qui tient compte de la section de la balle (surface en travers) et de la forme de cette balle au moment de l’impact.  Il a appelé cette quantité « Relative Stopping Power » et sa formule est comme suit :
RSP = ½ (32.16) x mv  x A x Y
                              7000

m = masse en grain
v  = vitesse en pieds par seconde
A = section de la balle
Y = facteur forme

32.16 = constante pour obtenir des lb.pi
7000 = pour transformer les grains en livres

Cette formule s’applique pour des balles de révolver et de pistolet, balles qui se déforment très peu sous l’impact et qui ont des vitesses relativement lentes. La formule a été controversée  mais la pratique leur a donné raison. Certains assaillants, ayant reçu une balle de 357 magnum, continuaient à combattre ou fuyaient. Par contre, des malfaiteurs ayant reçu une balle de 45 ACP ou 45 Colt tombaient sur le sol et étaient incapables de se battre pour un long moment. Pourtant les forces de l’ordre ont décidé de choisir le 9 mm comme arme de service surtout à cause de la grande capacité du chargeur (15 cartouches). Mais depuis plusieurs années ce choix est remis en doute et plusieurs corps de police vont vers le calibre 40, un projectile de 200 grains avec une vitesse assez lente mais qui, à portée normale de combat (entre 5 et 20 mètres), frappe très fort.

Pour neutraliser un assaillant, un choc violent est suffisant. Cependant, pour un gibier, il est nécessaire de lui causer une blessure mortelle le plus rapidement et le plus efficacement possible afin que la mort soit immédiate et sans souffrance. Il est donc nécessaire dans ce cas d’adapter les paramètres de Hatcher afin que l’arrêt de l’animal ne soit pas seulement une neutralisation, mais l’arrêt instantané des fonctions vitales.

Les balles de chasse ont des vitesses de l’ordre de 4 fois supérieures aux projectiles des armes de points, il est donc nécessaire de commencer par considérer l’énergie cinétique (½mv2). Si l’énergie n’est pas complètement dissipée sur l’animal, ce qui l’arrêtera ou le tuera sur le coup sera le choc hydrostatique et la cavité produite par le passage du projectile se déformant.  De plus, le poids du projectile devra rester constant, car plus celui-ci retiendra de poids, plus la déformation sera volumineuse.  Donc, plus la balle se déformera et plus elle retiendra de poids, plus elle produira un effet mortel.

DÉFORMATION DU PROJECTILE

Une balle de chasse qui frappe un gibier va se déformer et prendre la forme d’un champignon plus ou moins gros selon le calibre, le type et la forme de la balle. Cette déformation peut se calculer et toutes les compagnies effectuent de tels essais sur leur munition. Nous nous sommes servis d’une partie des expériences faites par les laboratoires « OLIN Western – Winchester » pour voir comment se comportait un projectile lorsqu’il frappe un bloc de gélatine balistique.  Nous avons ensuite réalisé nos propres tests dans du papier détrempé. D’après les expériences faites par les laboratoires OLIN, on se rend compte que la section de la balle varie en fonction de la pénétration, jusqu’à atteindre une déformation maximale après environ trois pouces (voir figure 1 et tableau 1). Le projectile poursuit ensuite sa course et crée la cavité mortelle.  La déformation d’un projectile peut atteindre jusqu’à 2.25 fois son diamètre initial (calibre) et celle-ci varie selon le type de balle.

Figure 1 – Déformation du projectile en fonction de la pénétration.

TABLEAU 1 – Résultats expérimentaux des laboratoires Olin sur l’écrasement des projectiles

Les tests des laboratoires Olin Western Winchester ont été effectués dans des blocs de gélatine de différentes épaisseurs à 200 verges avec un calibre .270 et un projectile de 130 grains « Silvertip ».

Les résultats furent les suivants :

Épaisseur de la gélatine (po) Surface de l’écrasement (po2)
0,5 0,03513
1 0,13729
1,5 0,15975
2 0,21705
2,5 0,24166
3,0 0,30093

On peut ici voir divers exemples de déformations relatives à la forme de projectile. De gauche à droite : bout mou pointu (SP), pointe de plastique (ST), bout mou rond (IVI-KKSP) et bout rond émoussé (WIN).

RÉTENTION DE POIDS

Dans la formule de Hatcher, il existe un facteur forme qui s’applique à des balles ne se déformant pas. Cependant, pour des balles de chasse, ce facteur forme peut s’exprimer par la capacité qu’à un projectile de conserver son poids selon les différentes formes de balle. Lorsqu’un projectile frappe un animal et se déforme, il laisse sur sa trajectoire une traînée de particules qu’il perd à cause de la friction intense sur la chair, exactement comme une météorite qui entre dans l’atmosphère terrestre. Nos données expérimentales ont démontré que selon le type de projectile, certaines balles ont tendance à retenir mieux leur poids;  par exemple, les balles à bout rond ont retenu plus de 66% de leur poids et celles à bout pointu, 55% du poids initial. Il existe donc un facteur forme même pour les balles de chasse. 

Plus un projectile retient de poids, plus son effet est mortel. On peut ici observer divers niveaux de rétention de poids suite à un impact; de gauche à droite : excellent, bon, moyen, faible.

Vue de profil de quelques échantillons de projectiles ayant subi une déformation. À gauche un boulet de 162 gr. (SP) à bout mou pointu en calibre 7 mm Rem Mag et à droite un autre de 180 gr. à bout rond en calibre .30-06.

Il est évident qu’il existe plusieurs autres types de projectiles comme les partitionnés ou les monolithiques par exemple et tester tous les projectiles aurait pris des mois. Mais les trois testés peuvent être utilisés comme «étalons standards» pour comparer les autres projectiles. 

Il faut aussi mentionner qu’il est extrêmement rare que le champignon formé par une balle de chasse dépasse 2.25 fois le diamètre initial de la balle.  Lorsqu’un projectile se déforme et s’agrandit pour former un champignon, la couronne autour de celui-ci devient de plus en plus mince et a tendance à perdre des morceaux.  Si la couronne perd des morceaux, il y a perte de poids et diminution du diamètre du champignon et par le fait même, diminution du volume de la cavité.

VOLUME DE LA CAVITÉ

Notre formule contient aussi un terme de volume de cavité (C) qui fut déterminé expérimentalement par des essais de déformation et placé ensuite sur un ordinateur pour obtenir une représentation mathématique du phénomène. Nous avons d’abord déterminé la surface de déformation maximum de plusieurs projectiles et évalué approximativement le parcours moyen d’un projectile dans le corps d’animaux de différentes grosseurs et sous différents angles de visée. Il est bon de retenir que lorsqu’un projectile de chasse frappe un corps quelconque, il amorce une déformation qui varie constamment en fonction de la pénétration et ce, jusqu’à atteindre une déformation maximale après environ trois pouces. La surface du projectile devient donc une variation d’aire sur une variation de la pénétration, qui s’exprime mathématiquement.

PUISSANCE D’ARRÊT RELATIVE NÉCESSAIRE (P.A.R.)

Ce domaine ayant été encore très peu exploré pour des fins de chasse. J’ai décidé d’appuyer ma théorie sur des essais réalisés par l’OTAN. Les résultats de ces essais ont amené à conclure qu’il faut environ 55 lb.pi (75 joules) pour neutraliser (ne plus avoir la capacité de combattre) un assaillant pendant 30 secondes. Si un soldat moyen pèse environ 160 livres (73kg) on peut évaluer, en utilisant une règle de trois et en estimant que la résistance physique est égale dans tous les cas, qu’il faudra environ 425 lb.pi pour neutraliser un orignal et 125 lb.pi pour neutraliser un chevreuil.

Notre but n’est cependant pas de neutraliser uniquement pendant 30 secondes, mais bien de foudroyer, toujours selon les mêmes essais, il faut dans ce cas tripler les valeurs obtenues. Lorsqu’il s’agit de tuer sur le coup ou du moins le plus rapidement possible, la puissance de frappe nécessaire est donc de 1275 lb.pi pour une orignal et 375 lb.pi pour un chevreuil, tout en considérant que le projectile atteint une région vitale de l’animal en question. Il faudra également faire une certaine cavité minimum et en considérant un projectile idéal qui ne perdrait que 30% de son poids, on peut évaluer la P.A.R. minimum requise à l’aide de la formule mathématique suivante :

PAR = ½ (32.16)   m   V2 x C x Y x 100
                             7000
m = masse en grains
V = vitesse en pieds par seconde
C = volume de la cavité en pieds3
Y = rétention de poids relative à la forme

Pour les fins de mes essais personnels, j’ai utilisé dans mes calculs des données relatives à des conditions optimales d’efficacité,  autant au niveau du projectile que du calibre employé. Ces conditions ne tiennent pas compte, par exemple d’un projectile qui frapperait l’omoplate d’un orignal qui est un os très gros et qui selon la distance peut complètement arrêter la balle qui va s’écraser et se défaire en plusieurs petits morceaux. J’en suis finalement arrivé à la conclusion qu’il faut une P.A.R. minimum de 360 dans le cas d’un orignal et de 180 pour un chevreuil.  Il est cependant nécessaire de tenir compte d’un facteur de sécurité d’au moins 10% et c’est pourquoi, j’évaluerais finalement ces valeurs à 400 et 200, respectivement pour un orignal et un chevreuil.

TABLEAU 1 – Puissance d’arrêt relative (P.A.R.) pour les calibres les plus populaires

CALIBRE BALLE P.A.R
Poids gr. Type 100 vgs 200 vgs 300 vgs
.270 Winchester 130 SP 450 368 298
130 ST 554 453 367
160 RN 562 545 362
CALIBRE BALLE P.A.R
Poids gr. Type 100 vgs 200 vgs 300 vgs
7 mm Rem Mag 150 SP 567 464 395
175 SP 584 501 433
175 RN 726 549 497
CALIBRE BALLE P.A.R
Poids gr. Type 100 vgs 200 vgs 300 vgs
.30-30 Win 150 ST 427 297 205
150 RN 463 296 195
170 ST 427 311 226
170 RN 425 336 218
CALIBRE BALLE P.A.R
Poids gr. Type 100 vgs 200 vgs 300 vgs
.30-06 Spr 150 SP 552 447 353
150 ST 709 574 455
180 ST 761 637 523
180 RN 747 544 396
220 RN 730 504 357
CALIBRE BALLE P.A.R
Poids gr. Type 100 vgs 200 vgs 300 vgs
.300 Win Mag 150 SP 711 568 447
180 ST 948 811 691
180 RN 868 643 550
CALIBRE BALLE P.A.R
Poids gr. Type 100 vgs 200 vgs 300 vgs
.308 Win 150 SP 524 417 326
150 ST 672 536 423
180 ST 718 597 336
180 RN 690 502 317
200 RN 746 557 375

LÉGENDE :
SP = bout mou pointu (soft point)
ST = bout de plastique, aluminium ou cuivré (Sabretip, Silvertip, Bronzetip)
RN = bout rond (round nose)

*Les données balistiques proviennent du guide des munitions IMPERIAL (IVI) et des tables de rechargement HORNADY.

CONCLUSION

Donc en se servant du tableau 2 des P.A.R. calculées à partir de la formule modifiée, on peut estimer la meilleure combinaison, calibre, type et forme de balle, pour foudroyer un gibier. Cette puissance d’arrêt ne vous garantit pas du gibier assuré, mais vous donne une très bonne indication du calibre et projectile qui a le plus de chance de foudroyer un animal sur le coup, ceci en frappant la cible bien entendu!

Ce tableau nous permet également de voir qu’à 100 verges la vénérable 30-30 Winchester a juste assez de puissance pour récolter un orignal et qu’au-delà de 300 verges, seuls les calibres magnum et certains projectiles de la 30/06 Springfield ont la puissance nécessaire.

Cette façon d’aborder l’efficacité des différents calibres ne tient plus compte uniquement de l’énergie cinétique du projectile mais aussi des dégâts causés par son passage dans l’animal.

Retour en haut